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Le Docablock Blog!
23 novembre 2007

Sur un air de didgeridoo

Mind mapping et art aborigène

Il y avait la navigation aux étoiles, les portulans, les chemins de croix, les plans de métro et les organigrammes. Autant de façons de parcourir des espaces entre ciel et terre, entre imaginaire et réalité. Ce sont aussi des guides : ils nous entraînent dans des correspondances, des relations, qui doivent faire sens rapportées à un ensemble.
Pour qui a de fortes tendances non-aristotéliciennes (la carte n’est pas le territoire), tout plan renvoie au mystère de son concepteur. Ainsi par une simple carte au trésor le fantôme de Barbe-Noire nous renvoie à un espace imaginaire empli d’abordages et d’îles désertes.

Du Temps du Rêve à l’espace des représentations

Le conteur commence son récit. Le sable clair qui s’écoule de ses doigts dessine des spirales, des courbes répétées, des ondulations liminaires. Sa voix nomme les lieux, les territoires, les acteurs du mythe. Patiemment, les points alignés tracent leurs pas, leurs rencontres. Puis les trames se nouent, des plages se colorent, des bifurcations apparaissent. Le conte s’assemble simultanément dans la linéarité de la parole et sa mise en espace sur le sol. C’est ce que certains ont appelé les « histoires de sable » propres aux Aborigènes australiens Warlpiri du désert central ou ceux des Terres d’Arnhem. Le récit achevé, le conteur laisse quelques instants à son auditoire pour embrasser du regard le dessin dont le sens est enfin accompli, puis il l’efface du revers de la main, rendant le sable au Temps du Rêve, toujours présent, où à l’origine tout était mêlé et rien n’était nommé.

L’art contemporain australien reprend souvent ces agencements bien reconnaissables de points et entrelacs, nous y sommes habitués. La technique des peintures de sable est utilisée ailleurs, mais l’origine et la fonction en sont différentes. Les peintures de sable Navajos, en Amérique, sont des rituels de guérison secrets. Les mandalas tibétains sont un exercice mental de concentration, et leur effacement symbolise l’impermanence du monde. Si le conteur australien efface son dessin, c’est parce qu’un arpenteur du bush qui n’aurait pas assisté à sa réalisation risquerait d’en faire une interprétation erronée. Est-ce à dire qu’il lui serait incompréhensible ? non, celui qui en partage la culture reconnaîtrait sans doute le mythe représenté. C’est l’acte même de projection d’un univers mental sur une représentation spatiale qui est primordial. Le dessin de sable ne mets pas seulement en présence les éléments du conte, il en représente les relations, les associations et les superpositions.

Pensée topologique et virtualité

Pour bien marquer la différence entre une cartographie physique et ces projections mentales, signalons que les Aborigènes du désert central ne dessinent pas de plan sur le sol : dans leur culture, ce sont les chants qui traduisent les coordonnées géographiques. Toute leur pensée est fondée sur la relation à l’espace sans fin du désert. Ce qui n’est pas nommé n’existe pas, n’a pas de place, et pour eux un nom est une localisation dans l’espace. Ainsi appartiennen-t-ils à leurs terres, ce qui a permis aux colons occidentaux de déclarer que leurs terres, elles, n’appartenaient à personne. Espace mental et espace physique sont identiques. C’est une pensée topologique.

L’ethnologue Barbara Glowczewski le souligne : « L'interprétation dynamique de traces visuelles et la projection de savoirs spéculatifs dans l'espace sont la clef de la pensée abo­rigène. Ce système cognitif spatialisé repose sur une vision de l'univers qui pourrait être qualifiée de « connexionniste », car tout y est virtuellement connectable et interdépendant »

De plus, cette spatialisation est détachée de toute référence temporelle : il y a synchronicité de tous les événements. Depuis 50 000 ans l’espace virtuel du Temps du Rêve s’incarne dans ce peuple.

Il n’est pourtant pas ici question de faire des Aborigènes australiens les précurseurs de la pensée des réseaux ou même d’une forme de projection de type carte conceptuelle. Pas plus que Saint-Simon, qui utilisait les notions de la médecine de son époque, en particulier sur la circulation sanguine.
C’est d’abord une sorte de libre association que de rapprocher le principe des peintures de sable Warlpiri avec les représentations des systèmes sous forme de cartes conceptuelles ou « mind mapping ». Cependant la démarche heuristique, le plaisir d’apprendre, la facilitation de la mémorisation, ce désir d’embrasser du regard l’étendue d’un savoir, semblent participer aux unes comme aux autres. Alors si au détour de votre cerveau droit, au moment où vous cartographierez le paysage de vos connaissances, vous entendez un air de didgeridoo, vous saurez que le Temps du Rêve n'est pas si loin.

MMAbo


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